– Tu es passé d’Aleix Espargaro à Joan Mir, en passant par Andrea Iannone. Quelles différences as-tu remarqué à travailler avec ces trois pilotes ?
Pour revenir quelques années en arrière, quand Aleix est parti j’ai eu un peu mal au cœur. Il est allé chez Aprilia mais ne m’a pas forcé à venir, il estimait que j’étais mieux chez Suzuki. Puis en 2017 il y a eu Iannone avec qui on faisait des podiums, des bons résultats mais le moteur n’était pas top et on peinait un peu. On a solutionné ça au fil de l’année et en 2018 on a commencé à enchaîner les bons résultats, que ce soit Iannone ou Rins.
Je me rappelle du premier test avec Joan Mir à Motegi. Il est parti rouler 4 tours et quand il est rentré il avait un énorme sourire. Il était tellement heureux de découvrir les performances de la MotoGP ! Forcément quand un rookie arrive dans cette catégorie c’est un moment très particulier. Et puis au début, un jeune pilote avec du potentiel qui arrive en MotoGP c’est excitant mais il y a une petite part d’éducation. Il faut qu’il se fasse à une moto qui est complètement différente de ce qu’il a connu auparavant. Au début quand il voyait une alarme s’allumer sur le tableau de bord il était inquiet quand il rentrait au box. Maintenant il est plus serein, s’il y a une alarme il va calmement s’assoir au fond du box pour en discuter avec le crew chief. Même dans la relation avec les mécanos il y a une évolution naturelle au fil des mois. Moi je fonctionne beaucoup au regard. Parfois quand il rentre au box il suffit de quelques regards ou d’un geste pour qu’on se comprenne, que je sache ce qu’il veut sur la moto.
– Durant les tests hivernaux précédant la saison 2020 la GSX-RR semblait compétitive, Joan Mir et Alex Rins étaient rapides. À quel moment as-tu réalisé que ton pilote pouvait être champion du monde ?
L’année précédente on voyait déjà qu’il y avait un bon potentiel. On a fait un apprentissage au pilote de comment piloter une MotoGP, car il était trop agressif. On était obligé de couper la puissance, et finalement quand il en voulait vraiment plus il n’y en avait pas.
Dès les premières courses, alors qu’on peinait en qualifications on avait des très bons rythmes en FP4. Le crew chief me disait « On a le rythme pour faire podium ! » et je ne le croyais pas. En début de saison on a fait quelques zéros, Joan tombait en étant impatient. Et puis il a appris qu’il fallait attendre dans les premiers tours et attaquer sur la fin pour faire la différence.
En voyant Marc Marquez dominer le championnat je me disais que c’était impossible de jouer le titre, mais il s’est blessé. Et Fabio Quartararo qui devait être le leader avait des soucis. On s’est rendu compte qu’il n’y avait plus vraiment de leader, et au même moment on a fait des bonnes courses. Joan était souvent sur le podium et les gagnants n’étaient jamais les mêmes. À mi-saison on était dans le Top 3 et alors on s’est regardé dans les yeux en se disant que c’était possible. Et puis le déclic final c’était à Valence, l’avant dernière course de la saison qu’il remporte. C’était très émotionnel car il y avait beaucoup de critiques comme quoi ce ne serait pas un vrai champion s’il ne gagnait pas une course, et il a prouvé qu’il pouvait le faire.