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L'AVENTURE DE SUZUKI EN MOTOGP VUE PAR JACQUES ROCA

Grand artisan des bonnes performances de la GSX-RR et des victoires de Suzuki en MotoGP, Jacques Roca, l’ancien chef mécanicien de Joan Mir revient sur ses huit saisons dans la catégorie reine. 

Jacques Roca Suzuki MotoGP

      – Avant même de travailler pour Suzuki ton histoire était déjà très liée à la marque, notamment avec ton père. Peux-tu nous raconter ?

Depuis que je suis gamin j’ai baigné dans la moto avec mon père. J’ai rapidement eu un quad Suzuki LT50 et j’ai grandi dans les magasins de moto Suzuki qu’avait mon père. Il a été directeur technique de Suzuki France pendant de nombreuses années. Je le suivais sur les salons et les stands de la marque quand j’avais à peine 6 ou 7 ans. J’y suis très attaché, encore aujourd’hui j’ai une RM-Z450 préparée en supermotard. Dernièrement j’ai racheté une RG500 que je suis en train de refaire à neuf et je roule tous les jours avec un Vitara de 1990. Ma sœur aussi roule en Gladius, c’est de famille !

 

– Tu as fait partie du Team Suzuki dès son retour en MotoGP, en 2015. Comment s’est passé ton recrutement ?

Je bosse en championnat du monde depuis 2004. J’ai commencé par travailler en 125cc, en 250cc et en Moto2 avec un titre au bout. En fait j’ai une bonne relation avec les frères Espargaro. J’ai travaillé quelques années avec l’un, quelques années avec l’autre. À un moment donné j’étais le mécano de Pol. Aleix était souvent dans le box avec moi et un jour il m’a parlé d’un projet chez Forward en MotoGP, il voulait que je vienne avec lui. Au départ j’avais discuté avec les patrons du team et j’avais peur du projet. Mais Aleix m’a rassuré en me disant qu’en réalité il comptait faire une seule année là-bas, puis rejoindre le team Suzuki avec lequel il était déjà en discussion. Quand il a signé son contrat il a donc demandé que je rejoigne également l’équipe. Ça tombait bien car ils recherchaient du personnel au même moment. C’était génial pour moi.

Jacques Roca Suzuki MotoGP

      – Le premier podium et la première victoire après le retour ont été obtenus dès l’année suivante, respectivement au Mans et à Silverstone. T’attendais-tu à ces résultats aussi rapidement ?

La base de la Suzuki était très bonne, ils l’avaient bien conçues et avaient fait beaucoup de tests. En 2014 ils faisaient des séances de roulage juste après les week-ends de couse, sur les mêmes circuits que le championnat MotoGP, et avaient les chronos de la veille comme référence pour travailler.

Dès 2015 on a fait une première ligne à Barcelone, avec Aleix en pole position. On pouvait avoir un pneu plus soft grâce aux aides en tant que nouvelle équipe, mais on manquait de puissance moteur. On avait une moto beaucoup moins puissante, mais il y avait un super châssis.

 

– En 2017 tu es passé chef mécanicien, un poste que tu occupes toujours. Peux-tu nous expliquer en quoi ça consiste ?

Le chef mécano s’occupe de coordonner les relations entre le pilote, le crew chief et les mécaniciens. Je travaille beaucoup avec le crew chief, en fonction du plan d’entraînement d’une séance je prévois et j’organise les modifications à faire sur la moto. Vu qu’on a toujours deux motos dans le box je dois aussi faire attention à ce qu’elles aient les mêmes réglages.

En fait c’est un rôle qui est venu assez naturellement. En 2015 personne ne faisait ça dans notre team, mais je discutais souvent avec le crew chief pour pouvoir anticiper certaines choses. Dans d’autres équipes il y avait cette façon de fonctionner avec un chef mécanicien, et Davide Brivio a décidé que ce serait moi chez Suzuki alors que j’étais le plus jeune !

Jacques Roca Suzuki MotoGP

– Tu es passé d’Aleix Espargaro à Joan Mir, en passant par Andrea Iannone. Quelles différences as-tu remarqué à travailler avec ces trois pilotes ?

Pour revenir quelques années en arrière, quand Aleix est parti j’ai eu un peu mal au cœur. Il est allé chez Aprilia mais ne m’a pas forcé à venir, il estimait que j’étais mieux chez Suzuki. Puis en 2017 il y a eu Iannone avec qui on faisait des podiums, des bons résultats mais le moteur n’était pas top et on peinait un peu. On a solutionné ça au fil de l’année et en 2018 on a commencé à enchaîner les bons résultats, que ce soit Iannone ou Rins.

Je me rappelle du premier test avec Joan Mir à Motegi. Il est parti rouler 4 tours et quand il est rentré il avait un énorme sourire. Il était tellement heureux de découvrir les performances de la MotoGP ! Forcément quand un rookie arrive dans cette catégorie c’est un moment très particulier. Et puis au début, un jeune pilote avec du potentiel qui arrive en MotoGP c’est excitant mais il y a une petite part d’éducation. Il faut qu’il se fasse à une moto qui est complètement différente de ce qu’il a connu auparavant. Au début quand il voyait une alarme s’allumer sur le tableau de bord il était inquiet quand il rentrait au box. Maintenant il est plus serein, s’il y a une alarme il va calmement s’assoir au fond du box pour en discuter avec le crew chief. Même dans la relation avec les mécanos il y a une évolution naturelle au fil des mois. Moi je fonctionne beaucoup au regard. Parfois quand il rentre au box il suffit de quelques regards ou d’un geste pour qu’on se comprenne, que je sache ce qu’il veut sur la moto.

 

 

– Durant les tests hivernaux précédant la saison 2020 la GSX-RR semblait compétitive, Joan Mir et Alex Rins étaient rapides. À quel moment as-tu réalisé que ton pilote pouvait être champion du monde ?

L’année précédente on voyait déjà qu’il y avait un bon potentiel. On a fait un apprentissage au pilote de comment piloter une MotoGP, car il était trop agressif. On était obligé de couper la puissance, et finalement quand il en voulait vraiment plus il n’y en avait pas.

Dès les premières courses, alors qu’on peinait en qualifications on avait des très bons rythmes en FP4. Le crew chief me disait « On a le rythme pour faire podium ! » et je ne le croyais pas. En début de saison on a fait quelques zéros, Joan tombait en étant impatient. Et puis il a appris qu’il fallait attendre dans les premiers tours et attaquer sur la fin pour faire la différence.

En voyant Marc Marquez dominer le championnat je me disais que c’était impossible de jouer le titre, mais il s’est blessé. Et Fabio Quartararo qui devait être le leader avait des soucis. On s’est rendu compte qu’il n’y avait plus vraiment de leader, et au même moment on a fait des bonnes courses. Joan était souvent sur le podium et les gagnants n’étaient jamais les mêmes. À mi-saison on était dans le Top 3 et alors on s’est regardé dans les yeux en se disant que c’était possible. Et puis le déclic final c’était à Valence, l’avant dernière course de la saison qu’il remporte. C’était très émotionnel car il y avait beaucoup de critiques comme quoi ce ne serait pas un vrai champion s’il ne gagnait pas une course, et il a prouvé qu’il pouvait le faire.

Jacques Roca Suzuki MotoGP

     – À titre personnel, voir le pilote dont tu es chef mécano être sacré en MotoGP est-il l’aboutissement d’une carrière ?

      Oui surtout que le pilote a beaucoup de pression, mais nous aussi car la moto doit être parfaite. L’erreur en tant que mécanicien en MotoGP est inacceptable. Au début de la saison 2020 on était détendu, mais sur les 3 ou 4 dernières courses la pression du titre s’est installé.

Il fallait gérer les mécanos, certains voulaient plus travailler que d’habitude. Une fois un samedi soir certains voulaient vérifier des pièces. Je leur ai dit « Est-ce que d’habitude on fait ça ? Non, alors on ne le fait pas ». Vouloir trop bien faire était un coup à devenir parano et créer des pannes.

Le titre fut un gros soulagement. Le pilote gagne mais c’est un travail d’équipe. Il faut une bonne ambiance, que le pilote se sente bien avec nous.


Quel moment t’a le plus marqué durant ces années dans le Team Suzuki Ecstar ?

J’ai du mal à choisir entre la course avec le titre de champion du monde au bout, et celle juste avant avec la victoire de Valence où on a mis les points sur les i. Le titre est magnifique mais on fait septième en assurant le minimum. La course d’avant où il donne tout et prend des risques pour aller gagner, l’émotion était assez forte.

Je n’oublie pas non plus la pole position avec Aleix à Barcelone en 2015, notre première fois dans le parc fermé. En 2020 la course à Misano avec la remontée et les dépassements de Joan dans le dernier tour était très forte à suivre aussi. 

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